La Mouette, le théâtre en temps de confinement
Film documentaire de 26 minutes
Réalisé à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
Avec Cyril Teste et les membres du collectif Mxm
Film documentaire de 26 minutes
Réalisé à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
Avec Cyril Teste et les membres du collectif Mxm
Une immersion dans les coulisses de la création du spectacle La Mouette et du travail du collectif MxM en confinement.
Comment s’adapter en pleine crise sanitaire marquée par les confinements et la fermeture des théâtres ? Poursuivre le travail devient un acte de résistance et d’espoir, faire groupe devient salvateur. Pendant ce temps, la nature poursuit son cours, indifférente.
Le film explore les ponts existants entre la fiction et la réalité, les tensions perceptibles entre le monde confiné à l’intérieur de Bonlieu, Scène nationale d’Annecy, et le monde extérieur déserté, les points de résonance entre ce que traversent les personnages de La Mouette, écrite par Tchekhov en 1896, et les membres du collectif MxM en 2020.
Après une ellipse de plusieurs mois de confinements successifs, les théâtres rouvrent. Le spectacle part enfin en tournée et rencontre son public.
Un documentaire qui se fait le témoin d’une époque et des questionnements qu’elle soulève.
Dans une ville de province, un groupe d’artistes de différentes générations se retrouve confiné au bord d’un lac. Acteurs, auteurs, metteur en scène : ensemble ils débattent des missions de l’art et du théâtre. Voilà qui pourrait être un résumé de La Mouette écrite par Tchekhov en 1895. Il devient la réalité du collectif MxM venu répéter la pièce à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy pendant le second confinement à l’automne 2020, faute de pouvoir jouer en public.
Les membres du collectif se confinent au sein du théâtre, n’en sortant que pour aller rejoindre leur hôtel le soir à travers la ville déserte. Pendant 10 semaines, ils vont faire communauté face aux restrictions, dans le cadre d’une résidence de création qui se prolonge. Le travail de troupe se révèle salvateur et le théâtre devient un refuge dans lequel s’isoler du monde en pleine pandémie.
Au cours d’entretiens menés au fil de la résidence, les artistes se questionnent face à la caméra sur le sens du collectif, de leur travail et sur le rôle du théâtre dans ce contexte. Pour Olivia Corsini, la comédienne qui interprète une Arcadina tempétueuse, il s’agit d’ “un privilège. Une chance incomparable de continuer à être ensemble, de pouvoir se parler, se toucher, s’embrasser”.
Ensemble, ils réfléchissent à la notion même de travail quand on est acteur, à l’impossibilité de jouer avec masque face aux caméras (centrales dans les mises en scène de Cyril Teste), aux prises de risques à consentir. La création d’un spectacle ne peut se résumer à la simple représentation en public, partie émergée de l’iceberg, et la phase d’élaboration au préalable est évidemment essentielle à tout processus créatif. Cependant, quel sens donner au théâtre sans public avec qui le partager, sans écoute, sans regard ?
Enfermés dans la datcha de l’histoire qu’ils racontent, les comédiens se fondent dans la vie de leurs personnages. Les ponts entre la fiction et la réalité se multiplient, la situation géographique au bord du lac, la condition d’artistes confinés, la maladie qui “hante l’intrigue”… Il est difficile d’identifier si nous avons affaire aux comédiens ou à leur personnage. “On ne s’attendait pas à vivre autant de coïncidences avec ce que nous vivons et racontons. D’où cette question, jusqu’où l’écriture produit une forme de réalité, et comment le réel rattrape la fiction ? Nous avons été traversés de part en part par cette question.” explique Cyril Teste face à la caméra dans un entretien tourné au bord du lac d’Annecy.
Le documentaire explore la finesse des points de tensions et apparentes oppositions entre fiction et réalité : intérieur de la datcha au plateau et extérieur du théâtre, monde confiné et ville désertée, insouciance apparente d’une troupe unie par la création et crise sanitaire qui frappe au dehors. Au centre, l’art apparaît comme une source d’espoir et de joie.
Le film est tourné en quasi huis clos au sein de la Scène nationale de Bonlieu. Elle représente le confinement,l’intérieur, l’enfermement de cette période. Elle est l’espace de répétition pour les comédiens et leur refuge, elle est le lieu de vie de leurs personnages et le cadre des entretiens tournés en bord plateau.
Les séquences tournées en ville montrent le contexte de la crise sanitaire, l’espace public déserté, les rues vidées. Elles rendent compte du caractère exceptionnel de cette période et soulignent l’isolement dans lequel la société a été plongée. Le lac est quant à lui le cadre commun entre la fiction (le lac au bord duquel se déroule l’intrigue de La Mouette) et la réalité (le lac d’Annecy). Il est l’espace neutre choisi pour réaliser l’entretien avec Cyril Teste, fil rouge du documentaire, permettant de prendre le recul nécessaire sur la situation et le temps de l’analyse.
Enfin, cadre indifférent aux problématiques humaines, la nature suit son cours et les saisons défilent dans la forêt. La crise que nous traversons marque peut-être “la fin d’un monde, mais pas la fin du monde” commente Cyril Teste, “la preuve en est quand on regarde aujourd’hui une lumière comme celle-ci, il faudrait être sacrément prétentieux pour parler de la fin du monde.” Loin de s’opposer, nature et culture semblent converger vers un monde du sensible.
Après une ellipse d’un an, le spectacle rencontre enfin son public à Bonlieu. La vie reprend ses droits, la ville est de nouveau occupée par ses habitants. L’heure est à la joie des retrouvailles, le public pose enfin son regard sur La Mouette.
Le spectacle peut alors partir en tournée.
Je travaille depuis 10 ans dans les coulisses feutrées de la création de spectacles. Je vis aux côtés des artistes les phases de doute et de joie, l’effervescence des secondes qui précèdent leur montée sur scène, le trac… Le 12 mars 2020 à 20h, j’étais encore en coulisses lorsque Emmanuel Macron prenait la parole pour la première fois au sujet du Coronavirus et annonçait la fermeture des écoles comme première mesure. Je filmais alors la troupe de Katia Ferreira prête à monter sur la scène du théâtre du Monfort, j’étais loin de cette réalité qui nous attendait tous. First Trip a joué sa première et sa dernière ce soir-là. Dès le lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, un nouvel arrêté interdit les rassemblements de plus de 100 personnes, les théâtres ferment leurs portes pour la première fois de l’histoire. Le 16 mars nous étions tous confinés. Des semaines qui suivent, il ne reste que le silence, la stupeur face aux chiffres qui tombent chaque jour, le souvenir de la peur et de l’isolement dans lequel sont plongés une majorité de français. Dès la sortie du confinement en juin 2020, le Théâtre du Monfort accueille le Collectif Mxm pour la première résidence de création du nouveau spectacle de Cyril Teste : La Mouette. Pour documenter la réouverture de leurs portes aux artistes, le théâtre m’invite à venir tourner des images sur cette étape de travail. J’y retrouve Katia Ferreira qui fait partie de la distribution du spectacle. Masques, gel hydroalcoolique et distanciation sociale prennent place au théâtre. Les membres du collectif se mettent au travail, analysent le texte de La Mouette ensemble, les comédiens improvisent des scènes, l’équipe technique travaille sur des idées de projections pendant le spectacle, et tous reviennent régulièrement sur les derniers mois de confinement. Je tombe sous le charme de cette équipe sensible, réfléchie, rigoureuse. L’été passe, puis l’annonce du second confinement tombe à l’automne. Cette fois les théâtres ferment au public mais les compagnies peuvent continuer à venir y travailler. Je reçois alors un appel de Cyril Teste qui me propose de venir rejoindre Mxm pendant la résidence qui se prolonge à la Scène nationale d’Annecy. Salvador Garcia, directeur du théâtre, décide de produire un documentaire qui garderait en mémoire cette période exceptionnelle de notre histoire. Je suis partante, je prends le train et je rejoins la troupe avec ma caméra. En arrivant dans le théâtre, je ressens immédiatement la force du groupe, du collectif, face à la solitude du confinement… Je relis le texte de La Mouette, je découvre avec étonnement les multiples liens entre la fiction et la réalité. J’apprends qu’un comédien est décédé depuis le tournage du mois de juin, il s’agit d’Hervé Blanc qui jouait précisément le rôle de Sorine, personnage à l’agonie dans La Mouette. C’est son meilleur ami, Xavier Maly, qui a repris le rôle depuis. Je sens que le contexte, l’histoire de la pièce, les contraintes extérieures exercent un poids immense sur nous tous. Je commence à écrire le brief du documentaire, je fais la liste des images à tourner et je choisis mon angle.
Mon sujet étant particulièrement intense et chargé émotionnellement, je décide de filmer avec pudeur et une certaine retenue les membres du groupe. J’ai tourné presque exclusivement avec une focale fixe de 85mm qui m’assure à la fois une certaine distance avec mes sujets pour respecter leur intimité, tout en assumant ma présence à leur côté pour ne pas voler des moments à leur insu, et obtenir ainsi leur consentement. Cet objectif qui ouvre à 1.8mm répond également à la double exigence d’avoir des images lumineuses dans le cadre sombre du théâtre et d’apporter de la douceur sur mes sujets grâce à sa très faible profondeur de champ. Je souhaite obtenir une esthétique du réel, douce et poétique, je cherche des images réalistes, pour un rendu fidèle qui leur ressemble.
Rapidement j’identifie ceux qui seront les personnages principaux de mon documentaire, il s’agit des personnages principaux de La Mouette : Mathias Labelle (Treplev) et Olivia Corsini (Arcadina). Je décide de mener des entretiens avec eux ainsi qu’avec Leïla Adham, la dramaturge du spectacle et Xavier Maly (Sorine) pour qu’ils partagent à l’écran leurs pensées et leur ressenti pendant ces semaines de confinement, de travail et de vie. Je mène ces discussions avec eux dans les coulisses de la scène, à la lumière des “services” dans un souci de réalisme toujours. En les interrogeant dans le cadre du théâtre, je maintiens la légère confusion entre la fiction et la réalité, entre les acteurs et leurs personnages. Par ailleurs, cela me permet également de rester dans le quasi huis clos du documentaire et d’appuyer le cadre du contexte de confinement. En parallèle, je prépare un entretien avec Cyril Teste qui sera le fil rouge du documentaire. J’identifie le lac d’Annecy comme un trait d’union entre la fiction et la réalité, et qui m’apparaît comme le parfait décor pour y mener l’échange avec Cyril. En dehors du théâtre, au bord de l’eau, on peut prendre le recul nécessaire pour porter un regard lucide et une réflexion dépassionnée sur la situation dans son ensemble. Tous se confient à la caméra et nous parlent de la force du groupe, de l’importance d’être ensemble, de la chance de pouvoir travailler. Ils analysent les coïncidences et points de résonances entre leurs vies et celles de leurs personnages, entre l’histoire qu’ils racontent et l’histoire qui se déroule à l’extérieur du théâtre.
“Cantaban los niños canciones ingenuas,
de un algo que pasa y que nunca llega:
la historia confusa y clara la pena.”
Antonio Machado
Cette recherche de trouble entre le réel et la fiction se met en œuvre naturellement pendant le tournage. Les points de convergence réels entre le contexte sociétal, la vie des comédiens et l’histoire qu’ils racontent s’y prêtent spontanément. Ce qui m’importe c’est que les émotions convergent et soient partagées à l’écran. Cette citation d’Antonio Machado m’a accompagnée pendant tout le tournage. L’exemple le plus criant est peut-être une scène à l’ouverture du film dans laquelle on voit Cyril Teste interpréter une scène de Treplev pour donner des indications de jeu à Mathias Labelle. Plongé dans une colère noire et légèrement ridicule comme il imagine cette tirade pathétique, Cyril s’excède, crie, perd ses moyens. On est alors pris d’un doute. Ne serait-ce pas une colère réelle de metteur-en-scène comme il en existe ? Bien plus tard dans le documentaire, on revoit cette même scène mais cette fois belle et bien interprétée par Mathias. Au-delà de lever le doute, cette scène illustre à ce moment du film la panique dans laquelle la gestion du Covid a plongé la société. Différents niveaux de lecture se rejoignent. Au fil du documentaire, on suit le processus de création artistique qui conduit progressivement à l’émergence d’une œuvre. Ces instants intimes, propres à chaque compagnie et à chaque troupe, sont rarement documentés. Le contexte particulier du covid et du confinement exacerbe l’intensité de ces moments de travail.
La musique du spectacle, composée par Nihil Bordures, habite le théâtre à toute heure du jour et de la nuit. C’est donc assez naturellement que l’idée d’utiliser cette même musique pour le documentaire me vient. Après un filage, on sélectionne ensemble avec Nihil plusieurs morceaux et leurs variations. Le choix de cette musique permet encore une fois de maintenir la confusion entre le réel (le documentaire) et la fiction (le spectacle). Le 24 novembre 2020, alors qu’une nouvelle journée de répétition s’achève, Emmanuel Macron reprend la parole pour annoncer une levée espérée du confinement le 15 décembre. Le lendemain matin, le collectif MxM se rassemble au théâtre et discute de la suite. La Scène nationale de Bonlieu leur propose de laisser les décors en place et de revenir pour jouer le spectacle en public du 15 au 18 décembre. Je planifie mon retour avec la compagnie sur ces dates, et j’écris la fin de mon film en conséquence. Le 10 décembre, Jean Castex prend la parole pour annoncer que les salles ne rouvriront pas. Je me retrouve avec une partie des images tournées inexploitables et sans fin ! Je me repasse les rush, j‘imagine toutes les fins possibles avec la matière à disposition. Et j’opte finalement pour une fin provisoire, en suspens, à l’image de ce que j’avais vécu. A l’été 2021, La Mouette est programmée pour début octobre à la scène nationale de Bonlieu. Je décide avec Cyril Teste et Salvador Garcia de revenir filmer une nouvelle fin à l’automne afin de documenter la rencontre du spectacle avec le public d’Annecy avant qu’il ne parte enfin en tournée.
Le 5 octobre je suis de retour à Annecy et je retrouve l’équipe prête à jouer la générale le soir-même et sa première le lendemain. Je tourne un nouvel entretien avec Cyril Teste qui nous résume les derniers mois passés et recontextualise ce qui sera ma nouvelle fin. Je peux enfin filmer les rues d’Annecy vibrer, le théâtre se remplir de public, la vie reprendre ses droits. « L’heure est aux retrouvailles et à la joie » nous confie Cyril Teste et ce sont sur ces dernières images que le film se terminera.